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On s'accroche souvent aux choses
de sa vie comme on s'accroche à ses souvenirs. Le temps - celui qui passe
et celui qui porte les intempéries – parvient toujours à les
dénaturer, les décomposer, les dissoudre finalement
dans le désordre originel. La visite d'un placard délaissé est
analogue à l'ouverture d'un vieil album dont les photos ne
font resurgir que les squelettes des sentiments éprouvés à l'époque
du petit clic figeur d'éternel. Le jeu de boules vermoulu
a perdu beaucoup de sa substance ; la corrosion a définitivement éteint
le vieux projecteur super 8, réduit au silence le volumineux
magnétophone à bande ; quelque hiver rigoureux aura
poussé souris et souriceaux à faire leur palais
de la couverture rose ; les cartes marines qui ont tant guidé Scipio
sont tachées, décolorées, grignotées,
et, de toutes façons, périmées ; les octets
des grandes disquettes ne seront plus jamais lus par l'ordinateur
déchu, relégué, jeté.
Jeté ? Faut-il définitivement jeter les souvenirs
figés, dénaturés, squelettés ? La mémoire
ne peut-elle pas leur faire une petite place, leur trouver un placard,
un tiroir ? S'ils ne dérangent pas le quotidien, s'ils n'encombrent
pas une zone encore active, est-il possible de les remballer, reconditionner,
pasteuriser, momifier, vitrifier …? Même ainsi dénaturés, édulcorés,
ils sont l'attestation qu'un passé a existé, ils sont
les pilotis incertains soutenant les huttes du quotidien.
Alors, on trie, on garde, on pousse et on range ?
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