L'humeur de la semaine

Nuit. Mais pas brouillard. Les étoiles regardent Scipio tailler sa route sur une mer un peu hachée. Son régulateur d'allure tient le près au mieux, mieux qu'un barreur fatigué, dit-on. Là-haut, éclairée par les feux de route, la girouette acquiesce le plus souvent, incite parfois au lof quand une vague plus forte a repoussé l'étrave, semble hésiter quand le vent gifle un peu plus fort et amène les voiles dans son lit.

Cap à l'ouest par vent de noroît. Houat est derrière, les îles de Glénan sont devant. Les feux de Groix défilent lentement sur tribord. Le soleil s'est glissé dans l'océan depuis quelques heures déjà et le froid relatif de cette nuit d'août se fait sentir malgré les vêtements chauds. La fatigue et le sommeil aussi. Bouger, il faut bouger de temps à autre dans ce cockpit. S'asseoir au vent, s'allonger sous le vent, jeter un œil sous le génois, sur le compas, la girouette, le régulateur …

Tiens ? Des feux sur bâbord. Un bateau de pêche, sans doute. Danger ou non ? Vert sur rouge, les routes convergent, c'est sûr. Lentement, les feux se précisent autour de l'ombre qui les porte, prennent de la consistance tandis qu'ils se déplacent dans les haubans de Scipio. Vers l'avant. Le "pêchou" devrait donc passer devant. Tout près, mais qu'importe puisqu'il semble naviguer trop rapidement pour tirer un chalut..

Tour d'horizon dans la nuit claire : RAS. C'est le moment d'un petit somme réparateur. Longs étirements délicieux sur une couchette du carré resté chaud, bref basculement dans l'inconscience profonde … et réveil. Dix minutes suffisent pour acquérir un nouvel état de veille et pour qu'une embarcation non perçue initialement ne s'approche dangereusement. Comme les choses sont bien faites !

Nommer, c'est posséder paraît-il. Peut-on posséder les étoiles ? Contempler le ciel comme une oeuvre d'art en tentant d'en prendre les éléments pour ce qu'ils nous laissent percevoir n'est-il pas suffisant, cette nuit, sur ce bateau ? Le rêve n'est pas loin : c'est la distance-temps de l'Univers qui paraît ici ; c'est l'histoire de notre Système solaire que nous racontent ces étoiles filantes ; c'est l'aventure humaine que nous rappellent ces satellites défilant parfois nerveusement dans une voûte plutôt paisible.

Mince ! Cette étoile si basse sur l'horizon … elle vient de bouger, elle est toute proche ! C'est le feu d'un voilier pas trop réglementaire. Quelle route ? La même que Scipio, apparemment, et c'est très bien : la compagnie est une bonne chose pour lutter contre le sommeil.

La masse noire de Groix s'évanouit dans le sillage. Les éclats de Pen-Men tombent plus doucement dans le blanc des voiles. La Lune vient de hisser au dessus du continent un disque bleuâtre posé dans une magnifique coupelle d'or. Déjà - mais ne serait-ce pas qu'une impression venue d'une attente trop forte - le ciel pourrait paraître plus clair du côté du continent désormais invisible. Les aubes sont souvent les heures les plus froides et les plus longues de la nuit. Elles sont une succession de perceptions, de sentiments attachés à la lente augmentation de la clarté laiteuse de l'espace, puis du rougeoiement de l'horizon, jusqu'à l'apparition de l'astre. Et tout s'accélère alors. Les yeux s'ouvrent davantage, le regard scrute et circule, les vêtements commencent à tomber, le bateau à s'animer.

Le Soleil a chassé le vent. Il faut larguer le ris, changer le génois. L'action évacue les derniers frissons et installe définitivement la navigation pour la journée. Où sommes-nous ? Où sont les Glénans ? Penfret ? La Chambre où Scipio compte mouiller ? Coup d'œil au GPS, virement de bord … et encore quelques heures de navigation sur l'océan devenu bleu, entre grains, dauphins joueurs , fous de bassan solitaires, … et réminiscences de bords paradisiaques tirés dans l'archipel breton.