La Turballe. Il fait un vent à scotcher les goélands sur le dur. Un vent de Nordet qui pique la peau et fait plonger les oreilles dans les fourrés. Les cols, pas les broussailles. Les goélands sont bien là, dans un coin de la plage des Bretons, quand je quitte à pas encore hésitants le port de plaisance en direction de Pen Bron que je ne distingue pas encore, serti quelque part dans la bande floue de la pointe du Croisic posée sur mon horizon. Ils me regardent passer en silence, ces grands vociférateurs, le bec cloué et les plumes lissées face au vent que les habitations rendent tourbillonnaire sans vraiment l’atténuer. Brrr !!
La grande anse étale sa marée basse quasi vide de vie. Quelques enjambées m’amènent plus près de l’eau, là où le sable pour un temps libéré est plus fin et plus ferme. Seules deux ombres s’animent dans le contre-jour, posées entre falaise et océan, gentils pantins animés par quelques fils invisibles tombés d’un ciel douteux. Une foulée maintenant plus rythmée m’a rapproché de ces deux-là et puis les a placés dans mon sillage. Plus personne devant les yeux que les pensées vagabondes qu’on peut avoir lorsqu’après avoir entrouvert la porte elles osent enfin gambader dans le vent, sur la plage, sous le ciel.
Le pape, un goéland sur la fumée blanche, un pape sous chaque goéland du côté du port, pourquoi un seul pape si son job est si important ? La plage n’est pas sans les grains de sable, n’est-ce pas ? Combien de grains sous mes semelles depuis que je suis parti ? Sable vivant, micro et macrophage lors de repas bi-quotidiens, mégaphage même lorsque je vois le plaisir qu’il apporte et le temps qu’il passe à déguster les vestiges en béton de la ligne Maginot allemande.
D’image en pensée, de clin d’œil en idée, de rien total en tout vide, les pierres du petit Poucet l’ont amené à l’entrée de la promenade qui encercle les bâtiments du Centre héliomarin de Pen Bron. Héliomarin ... le soleil et la mer se sont retirés pour le moment. Centre ... centre sans centre, patchwork de bâtiments égrenant les différentes périodes de sa vie, progressivement retiré lui aussi de ses fastes d’antan. Plus de peintures sur les menuiseries trop vieilles, plus d’entretien dans le parc aux relents d’abandon, on sent confusément que même les accidentés de la vie qui y sont traités seront bientôt de trop. Le Paradis, ça se mérite, et la mesure actuelle du mérite, c’est l’argent, n’est-ce pas ?
Le Croisic défile à tribord, sous le vent, une brise alors bien plus légère pour le promeneur désormais abrité par les grands pins du Centre. Au bout de la promenade pavée qu’on imagine des plus inconfortable aux fauteuils roulants, le regard peut remonter au vent pour balayer de plus en plus loin, le bourg de Batz, la tour Saint-Clair, la collégiale, le coteau au-dessus des marais ... Les yeux s’embrument un peu dans l’air vif, leur attention se réfugie pour quelques pauses dans la contemplation des eaux du traict en contrebas, libres de la plupart des bateaux qui y mouillent en période estivale, encore ou déjà en mouvement vers l’océan dont elle prend la direction même lorsque la mer reprend le chemin des coméradus qui alimentent les marais salants.
Une fois virée la barrière à demi virtuelle filtrant les accès au centre, c’est route terre, comme dirait le marin, cap au noroît, tribord amure et allure de grand largue. La terre est battue et agréable, le chemin convient au pas un peu alourdi, aux perceptions légèrement engourdies. Allons, la halte est au bout de la boucle, chaude et recyclante, bien faite pour remettre en piste sans trop de délai le randonneur de côte.