La météo promet soleil et petit vent d’est pour quelques jours, c’est le moment d’appareiller pour les amateurs de navigation "de demoiselle" dont je suis de temps à autre, pour changer, parce qu’il n’est plus question alors d’enfiler les cirés, de prendre des ris, de rester scotché à la carte, au GPS, au sondeur, à la VHF. Une navigation de plaisance, pour tout dire.
Courses rapides, préparations légères … routine et coolitude. Les amarres sitôt déposées sur le ponton turballais, grand-voile hissée haute et génois léger envoyé, le près amène Scipio au 290, Hoëdic ou Houat à portée de voiles. Ce sera Houat et sa grande et belle plage de Tréach er Gourhed, bien capable d’assurer un mouillage tranquille par les petits vents de suroît à nordet annoncés. Nordet ? Hum ! Le lever du jour devrait être un peu agité, mais tant pis ! Les emplacements protégés sur 180° n’existent que dans les ports et point n’est question de port dans cette navigation-ci … Navigation de plaisir disais-je !
Mouiller, débarquer, randonner. Petit tour de la haute pointe rocheuse d’Er Permegi, bizarrement jamais parcourue jusqu’alors, peut-être parce qu’elle a longtemps été l’espace de camping de Houat, jusqu’à l’accident dramatique d’un campeur resté accroché à sa tente envolée par delà la falaise un jour de grand vent. La végétation est rase ici, contrairement à la partie principale de l’île, les fleurs sont nombreuses, inconnues de l’ignare que je suis mais connues de beaucoup d’autres : ail sauvage, violettes aux senteurs quasi excessives …
Grand tour vers le bourg, toujours plus vivant et plus coquet. Traditionnelles roses trémières bien sûr, mais aussi plantations nouvelles autour des maisons réhabilitées, le long des rues et des ruelles réaménagées. Des constructions neuves également, pas toujours très « raccord » avec les petites maisons de pêcheur originelles, lucarnes étonnantes et grandes baies carrément détonantes.
Coucher et lever de soleil ont encadré la nuit de couleurs flamboyantes. Le nordet annoncé entre effectivement dans la baie, mais si gentiment qu’on ne peut lui tenir rigueur de la petite agitation qu’il crée sur l’eau et jusque dans les coques des bateaux. C’est encore du beau temps, ce vent-là portera Scipio sans effort et sans délai vers Belle-Île.
Vite fait, bien fait en effet. Beaucoup de coques multicolores se dandinaient déjà dans le magnifique mouillage de Ster Vraz, magnifique et magique et tellement accueillant par ces vents de secteur est. L’ancre s’est posée en douceur dans le petit bassin de Ster Wen, l’amarre arrière portée sur le caillou a aidé l’équipage à se déhaler en haut de la falaise jusqu’au sentier qui mène au chemin qui mène à la route conduisant à Sauzon.
Sauzon, la belle de Belle-Ile change peu, il me semble. Juste un peu de lifting, un peu plus d’organisation pour avaler sans trop de douleur le flot touristique saisonnier. Restaurants, commerces, emplacements portuaires occupent l’espace pratiquement comme il y a vingt ans. On s’y retrouve facilement et on s’y trouve bien. Restaurant ? Restaurant ! En terrasse, s’il vous plaît, devant le spectacle tout proche des bateaux en manœuvre. Le « poisson du jour » annoncé sur la rue , devenu « poisson du marché » sur le menu, vraisemblablement sorti d’un congélateur était néanmoins « honnête » [1]. Pourquoi ne pas le dire ? « Notre poisson est plus que frais, il est froid, très froid, et il est bon ! »
Bateau, repos, et gros dodo sous les cris continuels des goélands. Increvables goélands ! N’importe quel organisme se casserait la voix avec une telle activité vocale et on peut penser que leurs cris cessent pendant le sommeil des équipages.
Mouillage tranquille signifie parfois réveil tardif, sous le soleil déjà bien haut et dans un vent mollissant. Pas grave : un retraité pressé, sur l’eau comme ailleurs, est un homme stressé qui n’a pas compris que désormais, il peut faire avec les choses de la nature, de toute façon plus fortes que lui et les aides dont il se munit, moteurs, guindeaux électriques, GPS, … « Si Dieu le veut », on arrivera bien jusqu’à un autre mouillage sympa, sur la route du retour vers La Turballe, sur Hoëdic ou Houat, à nouveau.
Ce sera Houat et sa belle plage du Béniguet, cernée de hautes roches, bordée de sable fin, entrouverte à l’ouest sur la mer et ses courants de marée, inondée de lumière ocre quand le soleil se couche.
La météo avait promis soleil et vent d’est qui pousse les bateaux vers les îles de chez nous et rend les retours un peu plus longs sinon plus difficiles, « Au près, deux fois le temps, trois fois la peine » disait le marin au temps de la voile laborieuse. Point de peine pour Scipio sur la route du bercail, mais effectivement deux fois plus de sillage tracé, d’un bord à l’autre, entre côte et estime, soleil sur la joue droite, soleil sur la joue gauche. Par bonheur, le vent est soutenu, travaille bien dans les voiles, indique bien clairement ses intentions à « Raymond », notre régulateur d’allure capable de barrer plus efficacement et plus longtemps qu’un barreur fatigué.
Les voiles sont affalées dans les surventes du vent chaud venu de la côte. Le moteur pousse maintenant Scipio vers l’entrée du port, sur une eau que la chaleur, le soleil et notre pollution a verdi, sous les regards supposés des amateurs de sable chaud et de soleil excessif. Il faudra vraisemblablement attendre une météo plus agitée pour rendre à l’eau ses belles couleurs habituelles et donner aux peaux rougies du temps pour s’en remettre ...