On n’écrit bien que sur ce qu’on connaît, ça c’est bien sûr. Même lorsqu’il s’agit d’un roman où les personnages sont a priori sortis de l’imagination du romancier mais dont les cadres géographiques, sociologiques et psychologiques doivent être correctement renseignés pour être vraisemblables et accrocheurs. Et même lorsqu’il s’agit d’une fiction complètement décalée, totalement déjantée, absolument abracadabrantesque, le scribe doit sembler s’y mouvoir en milieu familier.
Mais décrire ce que l’on connaît peut être délicat lorsque ce que l’on connaît n’est pas très convenable et que sa publication en est difficilement acceptable par certains des protagonistes ou certains des cercles, milieux sociaux ou régionaux mis en scène. Edouard Louis commence à s’en rendre compte maintenant qu’il a publié la triste histoire d’Eddy Bellegueule, sa propre histoire d’homosexuel plutôt intellectuel égaré dans une famille brute de fonderie, machiste, facho, cradingue, noyée en milieu prolo, alcoolisé au pastis et porno-compatible. "Pour en finir avec Eddy Bellegueule" est le titre du "roman de ce jeune de 22 ans qui a fui son cloaque originel pour son rêve de bobos, jusqu’à plaquer le cuivre d’Edouard par dessus la rouille d’Eddy. Mais si Edouard peut éventuellement en avoir fini avec Eddy, si l’histoire d’’Edouard Louis peut commencer là où celle d’Eddy Bellegueule finit, une énorme tache bien gluante a été déposée sur la famille, les voisins, la région même ... Une façon pour le jeune auteur de s’interdire à jamais de revenir en pays picard ?