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Les voiles à tire-d’aile

lundi 9 décembre 2013, par jacky hérigault

 "Je ne sais pas quand ça arrivera, mais j’en ai une idée de plus en plus précise". Ainsi parlait, non pas le jeune Zaratoustra, mais l’octogénaire Jean d’Ormesson, à propos de sa mort, lors de l’une de ses nombreuses récentes apparitions dans nos petites lucarnes télévisuelles. Est-ce ma triste perception de l’atmosphère de novembre, est-ce l’accélération de la ronde des obsèques autour de ma personne, est-ce tout simplement la cause-même de cette perception et de cette accélération, je veux dire mon entrée dans le grand âge démarrée depuis quelques années déjà à l’occasion de ma fuite en retraite, toujours est-il que la petite musique de l’octogénaire précité circule de plus en plus souvent dans les miasmes de ma conscience, preuve que mon inconscient l’associe en son terreau, comme des tas d’ingrédients plus ou moins enfouis.

 Préparer sa mort est un vaste programme commencé dès la naissance, trop vaste pour une organisation ponctuelle et trop plombé encore par les incertitudes du futur. Tout juste peut-on prendre des dispositions matérielles, émettre des vœux, imaginer ...

 Imaginer ses propres obsèques par exemple. Amusant, non ? Hommage adressé au cher disparu, accompagnement vers l’autre monde, le seul véritable alter-monde, projection dans un passé commun qui vient de se clore, les obsèques tiennent sans doute un peu de tout ça, sans exclusive d’ailleurs. Elles sont faites à l’intention du mort qui n’en profitera pas mais dont il convient de respecter les "dernières volontés" exprimées, tacites ou supposées ; à l’intention aussi des individus qui se sont rassemblés pour l’occasion et des groupes dont les liens ont la possibilité de se resserrer autour de la rupture d’une maille de leur réseau.

Je peux donc imaginer mes obsèques à moi, celles auxquelles j’apprécierais de participer, construites à partir de ce que j’ai aimé ou pas lors de ma participation à celles des autres. J’ai commencé, si, si ! Mais je me suis aperçu que mon point de vue du mort risquait d’entrer en conflit avec les besoins et nécessités de la famille, des amis et de la société en général. Comment s’en aller dans la discrétion quand les cloches battent le rappel, comment fermer la porte dans la joie et la bonne humeur quand les cœurs se serrent et que les yeux rougissent, comment se dissiper humblement quand les gris de la vie désormais sans futur se parent de couleurs flashy indues ? Même dans la mort, il faut trouver des compromis ...

 Mais bon, il n’y a pas le feu, non plus. Tant qu’il y a du grain à moudre et que le moulin veut bien tourner, il n’est pas trop utile de se préoccuper de savoir comment on va en replier les ailes quand le vent cessera de souffler. Tant qu’il y a de l’eau à courir et que le bateau taille sa route, il n’est pas trop utile de savoir comment on va affaler les voiles en arrivant au port. Si ?

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