Philippe Starck affirme qu’il a une idée par jour. Chaque jour un objet frappe à la porte de son esprit fertile pour se faire relooker. "S’il te plaît, Philippe, dessine-moi autrement !". Je veux bien le croire. Je veux bien croire également qu’il voit quasi instantanément l’habit nouveau dont le vieil objet doit se parer, même s’il faut ensuite beaucoup de temps pour le confectionner. Peut-être même son inconscient cherche-t-il continuellement le grain à moudre sous le grès de ses meules neuroniques, la conscience quotidienne du design à réaliser n’étant que la bulle qui jaillit hors du bouillon. Dieu que cette brosse à dents est laide, elle doit plaire à l’oeil pour être bien en bouche ! Que cette chaise est incommode, des accoudoirs devraient prolonger ses courbes ! Le pass navigo doit être beau pour que les passagers des bus n’envient plus les conducteurs de BM ...
Ça me fait doucement rigoler. Un objet n’est-il pas d’autant plus beau qu’il est adapté à la fonction pour laquelle il a été confectionné ? N’est-il pas des plus plaisants ce tournevis à la tête sans morfil, au manche galbé comme il faut pour le creux de la main, à la tige ressentie comme un prolongement du bras ? Ce petit appareil de chauffage soufflant, carré et compact, métallique et noir, de puissance réglable et relativement silencieux, définitivement introuvable de nos jours a plus d’éclat dans mon esprit que les appareils actuels, arrondis et encombrants, plastiques et colorés, thermostatés en tout ou rien, grand bruit ou grand silence. Pour les objets comme pour les gens, l’habit ne fait pas le moine et la beauté intrinsèque n’a que faire des fards.
- Presse-agrume, selon PS
Quoique ... pourtant ... en réfléchissant bien ... l’effet placebo étant connu, pourquoi ne pas reconnaître aux objets un certain effet bonebo bien capable d’agir sur les esprits pour que leur utilisation soit d’autant plus profitable qu’ils sont plus beaux ? Ne lit-on pas plus facilement sur le tout nouvel iPad, rutilant et gadgetisé à souhait, que sur la vieille liseuse Kindle, terne et rudimentaire, l’esprit étant alors mis en appétit comme les papilles devant la belle vaisselle ? Peut-être ... sans doute ... Sûrement, doit penser monsieur Starck qui continue d’habiller des moines qu’il juge trop tristes. Sûrement, confirment les consommateurs qui acceptent de payer plus cher les habits que le créateur enfile sur fourchette, brosse à dents, poignée de porte, lampe de chevet, chaise de bébé, véhicule électrique, bateau de riche, immeuble, hôtel ... La liste est longue, vous pensez bien : une idée par jour depuis 40 ans !