Comme tous les jeunes vieux [1], je reçois l’invitation à pratiquer la cacascopie biennale. Je suis flatté de constater que les ordinateurs de la société pensent à moi autrement que pour me demander des sous ou me contraindre à des obligations réglementaires ; quelque part en ce bas monde, on veut mon bien, on pense à ma santé et on semble tenir à ce que je la conserve. Bien.
Bien, mais ... Le courrier reçu contient les codes-barres personnels autocollants que je devrai apposer sur les petits sacacacas une fois chargés de leur précieuse matière. Ces conditionnements sont à retirer chez mon médecin traitant : "Présentez cette lettre et vos étiquettes au médecin en début de consultation". Le problème, mon problème est que j’ai la chance, pour le moment et je me doute bien que ça ne saurait durer, de ne voir "mon" médecin que pour l’obtention annuelle de ma capacité à pratiquer quelques gentils sports de retraité. Je sais bien que ma santé n’a pas de prix et que le corps médical [2]est là pour détecter ce qui pourrait lui nuire, mais je ne me vois pas bien déranger un professionnel surchargé, même contre rémunération, pour un dérèglement certes sérieux mais a priori hypothétique.
Je temporise donc sur un fond de mauvaise conscience présentant quelques pics comme lors de la lecture de la lettre de rappel parvenue deux mois après le premier courrier ou de l’entraperçu de cette dernière soigneusement disposée à ma vue sur mon bureau afin ne pas l’oublier au cas où - j’en arriverais à le souhaiter - une visite chez mon médecin s’imposerait. Cet état de mauvaise conscience paroxysmique m’a poussé voici quelques jours à me fendre d’un petit mot dans l’espace web de l’organisme chargé de la cacascopie régionale, priant le lecteur du bout du net de bien vouloir m’excuser d’avoir à lui demander pardon pour mon incivilité, lui exposant ma situation de patient pas du tout impatient d’avoir à recourir à un médecin, et pour finir en lui susurrant que peut-être il pourrait me faire parvenir les petits sacacacas par la Poste comme cela avait déjà été fait à ma grande surprise pour la dernière collecte.
Wait and see. Et tout en attendant, j’essaie de voir, voir ce que pourrait être une politique du tout préventif, et du tout prédictif associé, appliquée aux citoyens d’une société qui en aurait les moyens. "Mieux vaut prévenir que guérir" dit-on. Sans doute, sans doute. Mais savoir précocement de quoi on risque de mourir ne me paraît une avancée fondamentale que pour ceux qui ne pensent pas à la mort.