lundi 15 février 2010
De l’eau tiède ...
Tous
les matins devant mon miroir, je ne m’examine pas pour savoir ce que je
serai demain. Je ne m’examine pas, tout simplement. Tout juste me
regardé-je comme pour m’assurer de ma réalité sans en détailler l’image
forcément peu agréable à cette heure et à cet âge.
Ce
vide observationnel allié à la disponibilité matinale émergente me
permet souvent de rencontrer des questions - je dirais même des
questionnements - dont je suis quasi certain qu’elles m’auraient échappé
dans d’autres conditions.
Un
matin de la semaine dernière par exemple, je me suis demandé pourquoi
je ne percevais que de l’eau tiède sous le bec verseur de mon mélangeur
d’eau chaude et d’eau froide. Question fondamentale mais qui ne coule
pas de source comme j’ai pu en juger a posteriori dans les réponses de
l’ami Google ...
La problématique est simple. Des molécules d’eau froide arrivent à droite
de mon robinet. Elles sont agitées - contentes de se rendre utiles,
c’est sûr - mais beaucoup moins que les molécules d’eau chaude qui arrivent à gauche
(notez bien la mnémotechnicité du plombier qui ne veut pas se tromper
dans ses branchements). Par le grand froid que nous avons connu cette
semaine, les petites molécules qui rentraient dans ma maison avaient
bien de la peine à se bouger l’une par rapport à l’autre et ne devaient
pas être loin de tomber dans l’immobilité frissonnante et glacée. Dans
le même temps, parmi celles qui sortaient tout énergisées de ma
chaudière, nombreuses étaient celles qui avaient envie de vivre sur leur
petit nuage, en dehors du flot commun.
Voilà
donc deux mondes totalement différents, celui de droite et celui de
gauche, deux mondes dont je vais provoquer la rencontre par la banale et
néanmoins magique ouverture du robinet au-dessus de ma brosse à dents.
Sur quelque dix centimètres, bises et poignées de mains vont s’échanger,
l’enthousiasme de celles-ci remontant le moral de celles-là et
inversement, le calme de celles-là modérant les ardeurs de celles-ci. De
l’eau tiède, donc.
Mais,
sur dix centimètres, en un fraction de seconde, devant mon miroir, j’ai
de la peine à croire que toutes les molécules aient eu le temps de se
biser, s’embrasser, se féliciter de la rencontre. Il doit bien rester
des petits groupes d’eau chaude et des petits groupes d’eau froide à la
sortie de mon robinet, sur ma brosse à dents. Si ma peau ne les perçoit
pas comme le palais perçoit le sucré en même temps que le salé ou le
chaud en même temps que le froid, c’est peut-être qu’elle ne possède pas
assez de capteurs, de tempels [1] ? Qui sait ?... Vous ?
La
question est d’importance puisqu’elle revient à douter de la nature de
l’eau tiède, donc de l’existence de l’homogénéité et donc du bien-fondé
du débat sur l’identité française. On voit bien dans ce cas - beaucoup
mieux que dans mon mélangeur de lavabo - que quelques années, voire
quelques générations ne suffisent pas à faire entrer dans un moule
commun et évolutif les individus portés sur le même sol par des flux
croisés de plus en plus rapides. Les détestateurs des perceptions
hétérogènes, à défaut de pouvoir fermer les robinets générateurs
d’hétérogénéité sont tentés de changer les capteurs sociétaux :
voilà l’eau tiède de l’identité nationale, circulez, il n’y a plus rien à
discuter ! Non ?
Notes[1] Temperature element, comme picture element pour pixel, tiens !
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