"Tu verras, Jacky, c'est moins la solitude que l'absence qui te fera souffrir".
Eh oui l'amie, je comprends ça. Comme le clamait "monsieur 100000 volts", l'oreille dans la main et la bouche en coin, la solitude ça n'existe pas. Gilbert n'aurait peut-être pas seriné ce refrain bizarre s'il avait connu la covid et le confinement respecté à la lettre par des dizaines (centaines ?) de milliers de personnes seules et socialement isolées, mais il est vrai qu'en des temps normaux où les relations peuvent s'exprimer normalement, seules les personnes qui refusent ces relations ou sont incapables d'en établir peuvent se sentir seules.
La disparition d'une partie de soi crée forcément une solitude immédiate immense. En sortir est difficile et sans doute arrive-t-il que certains y restent enfermés à vie. Si, alors que le temps et l'espace se sont refermés autour de soi, il semble encore possible de se recréer un futur et un environnement, c'est avec les autres mais sans l'autre. Tous ceux-là ne remplaceront évidemment pas celui-ci mais la solitude s'y sera dissoute.
Eh oui l'amie, sans l'autre, une part de soi est définitivement absente, irrémédiablement absente.
Plus d'un demi-siècle de présence quasi permanente au sein d'un couple, de permanences omniprésentes l'un pour l'autre, sédimente année après année une arche initialement posée sur deux pieds, fusionnant au gré des évènements vécus ensemble et dont le couronnement est l'épreuve de la séparation. L'ouvrage est terminé au prix de l'amputation de l'un de ses deux fondements...
L'absence, c'est quand le lit est trop grand, que le siège passager reste vide, que les décisions importantes ne sont plus débattues, que plus n'est besoin de se préoccuper des besoins de l'autre. L'absence, c'est le piano qui reste muet, les odeurs de cuisine qui ne fleurent plus dans la maison, les fleurs qui dépérissent, des amis qu'on ne voit plus. L'absence, c'est le vide physique autour de soi, c'est le passé commun qui bulle et "bourbouille" dans l'esprit faute de présent partagé.
L'absence après la fin de l'un laisse un goût d'inachevé à l'autre, et quelques regrets. Qu'est-ce qui n'a pas été fait qui aurait pu l'être ? Qui n'a pas été dit ? Partagé ? Le temps de l'absence définitive est celui de la suspension définitive des actes et des paroles devenus fantômes hantant la mémoire du survivant.
Mais vivre l'absence est encore vivre. Vivre avec la présence du passé plein la tête, des images fixes malaxées dans la mélasse du subconscient, images entremêlées, insaisissables dans leur exactitude, mais vivant leur vie propre dans l'esprit qui les héberge. Vivre ?... Vivre...