mamimadi l'humeur hebdomadaire |
6 avril - Cérébralitudes L'âge canonique voit s'évanouir progressivement les formes canon. Tassements, rides, raideurs et autres avatars envahissent les organismes. En douceur souvent, en profondeur toujours. Jusqu'aux premières alertes. "Monsieur, vos analyses montrent que votre prostate pourrait avoir quelque problème, je vais vous adresser à un urologue". Ou bien encore : "Votre tension est trop élevée, il faut vous mettre désormais sous hypotenseur permanent". Et encore : "Une gêne au côté droit dites-vous ? Montrez-moi... Plus haut placée, ce pourrait être le foie... Méfiez-vous du foie !" Et voilà comment une consultation de routine déclenche la surveillance latente de trois organes sans problèmes encore perceptibles. Mais les autres ? Tous les autres ? Pourquoi ne seraient-ils pas dans des états inquiétants eux aussi ? Les heures de vol sont les mêmes et d'autres tests, adaptés à leurs fonctions, n'y détecteraient-ils pas quelques déficiences ? Doppler du cerveau ? Scanner du tronc, IRM du squelette ? Sûr qu'en cherchant bien... De quoi tomber dans l'hypochondrie, maladie bien réelle celle-là, bien caractérisable et généralement traitée par un suivi de psychothérapies prétendant habituer l'impatient à l'idée qu'on peut être malade un jour et que la mort est inéluctable - ce dont justement le malade ne veut pas entendre parler-, ou par l'administration de substances que l'hypochondriaque refuse par crainte d'en tomber malade. Par bonheur, Covid-19 est arrivé qui confère une pause à ces nuages d'inquiétudes quasi permanentes. Le vieux qui a de l'âge n'a plus à se demander par quel côté sa santé sera mise à mal. Le cœur, les reins, le foie, le cerveau, les artères, les poumons, ça peut attendre. Le seul danger qui vaille est là, à la porte, et l'esprit tout entier doit être mobilisé pour que la porte reste close. L'importance du danger fait comme un microscope cérébral qui donne à voir le virus lui-même. On le voit derrière le masque du passant, on le voit sur le caddie du magasin, on le voit dans l'œil de la caissière barricadée derrière son plexiglass. On le voit sur ses propres mains quand elles reviennent sales de derrière la porte qu'il a bien fallu ouvrir et franchir. Haut le nez et bas les pattes, restons concentrés et lavons-nous vite ces mains devenues énormes et encombrantes. On peut émettre sans risque l'hypothèse que les assauts de Covid risquent de durer un certain temps mais qu'ils devraient cesser un jour. Il y aura donc, comme il est dit et répété aux gogos à tire larigot, un après et un avant Covid-19, mais les deux risquent fort de se ressembler. L'obsession du danger laissera à nouveau la place aux inquiétudes généralisées et, d'une façon tout à fait générale, les fortes résolutions de l'actuel temps de crise se dilueront à nouveau dans les turpitudes globalisées. Non ? |