Certaines personnes pourtant vieillissantes semblent vivre dans l'inconscience de leur inévitable crépuscule. Elles sont en relative bonne santé, souvent aidées par la prise de quelques médicaments, et vaquent paisiblement à leurs occupations ménagères, jardinières, culturelles ou touristiques. Loin de leurs limites physiques.
Il se pourrait que cette absence de perception régulière des capacités maximales soit l'un des facteurs sécurisants. D'abord parce que le champ des possibilités n'étant pas borné, toutes les illusions sont permises. Ensuite et surtout parce que la diminution inévitable au fil des ans des dites capacités n'est plus perçue non plus.
Constater que baissent régulièrement les moyennes des randos cyclistes permet sans doute de mieux apprécier sa finitude. Ressentir l'épuisement après deux jours de mer quand il en fallait huit il n'y a guère, risquer la tendinite de plus en plus souvent pour des travaux répétitifs de moins en moins longs, délaisser de plus en plus fréquemment le sac à photo super équipé mais devenu trop lourd pour une simple sacoche,...
“La vieillesse est un décès par petits morceaux”, écrivit Albert Cohen. Approcher ses limites au fil du temps permet d'apprécier la dispersion progressive des éclats. Ne pas secouer sa vie laisse ignorées craquelures et crevasses naturellement croissantes. Alors... lucidité sereine ou tranquille ignorance ?